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Réparer les vivants

© Elisabeth Carecchio

D’après le roman de Maylis de Kerangal – Version scénique et mise en scène Sylvain Maurice – Au Théâtre des Abbesses/Théâtre de la Ville.

Un acteur et un musicien dans l’instabilité des décisions à prendre : le premier, Vincent Dissez, porteur d’une histoire de mort et de vie, d’une course contre la montre traduite par un tapis roulant qui lui file sous les pieds ; le second, en surplomb, Joachim Latarjet monté sur une plateforme avec ses instruments – trombone, guitare, piano et voix – porteur du commentaire musical et sorte de conscience, soutient la prise de décision.

Il n’est pas rien de décider du don d’organe. C’est de ce thème dont traite – sous l’angle affectif, médical et éthique – le roman de Maylis de Kerangal qui rencontre, depuis sa publication en 2014, un vif succès public et a reçu de nombreux Prix.

Du surf au petit matin dans des eaux froides avec trois copains, le plaisir de la vie, une passion. L’accident de voiture au retour. Simon, dix-neuf ans, déclaré en état de mort cérébrale. Le médecin qui annonce à la mère, Marianne, que les lésions sont irréversibles mais que le cœur bat encore. L’espoir. Le père et la mère, séparés, devant leur culpabilité, le père pour avoir transmis la passion du surf à son fils, addict aux risques. Tous deux face au choix de faire don du cœur de leur fils ou non, tel que l’énonce l’infirmier spécialiste des dons en vue de transplantation. Comment décider pour Simon, aurait-il choisi d’être donneur, et comment supporter ? Toutes questions auxquelles il devient impossible de répondre avant d’apprendre à conjuguer au passé. Alors que tout laisse à entendre que la réponse s’annonce négative, ils donnent leur accord. Faire entendre à Simon le bruit de la mer une dernière fois, avant la déchirure, tel est le geste demandé.

La machinerie alors se met en marche, il n’y a que quatre heures possibles entre l’incision sur le donneur et la réalisation de la transplantation. Tous sur la ligne de départ : transports, préparation, équipes sous pression, Claire la receveuse de cinquante et un ans, sa vie entre parenthèses de 23h50 jusqu’au réveil six heures plus tard, avec un autre cœur. C’est ce timing, geste après geste, qui est restitué par Vincent Dissez avec une extrême intensité, beaucoup de fluidité et de légèreté dans le corps, comme dans l’inspiration-expiration, des points de suspension traduits en musique qui permettent au spectateur de reprendre souffle, aussi.

Il existe une véritable osmose entre le texte, l’acteur et le musicien, l’environnement scénographie et lumières d’Eric Soyer, qui signe la réussite du spectacle sur un thème pourtant plein de gravité. La clarté et la finesse du travail de mise en scène et de direction d’acteur signé Sylvain Maurice sont à saluer, l’acteur interprétant les différentes partitions : il est le narrateur, le surfeur et ses copains, le médecin, la mère et le père, l’infirmier spécialiste du recueil d’organes, le médecin chargé de la greffe, la greffée. Et le titre, vient d’une parole de Tchekhov dans Platonov, affichée sur la porte d’un Professeur, à l’hôpital : « Enterrer les morts, réparer les vivants. » Une notion de réparation où physique et mental se rejoignent dans une tension qui ouvre sur une ode à la générosité et à la vie. Car il est en le pouvoir du théâtre de faire revivre les morts.

Brigitte Rémer, le 30 juin 2017

Du 14 au 24 juin 2017, au Théâtre des Abbesses/Théâtre de la Ville. Tél. : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com

Avec Vincent Dissez et Joachim Latarjet – D’après le roman de Maylis de Kerangal publié par Verticales/Editions Gallimard – Assistant à la mise en scène Nicolas Laurent – scénographie Eric Soyer – lumières Eric Soyer en collaboration avec Gwendal Malard – composition originale Joachim Latarjet – costumes Marie La Rocca – son Tom Menigault.